C'était un jour de décembre, un dimanche, il faisait froid.
La maison est rangée, nous attendons de la visite pour le goûter. Il fait calme, je n'aime pas quand il fait calme, tout le monde le sait maintenant, ça ne présage jamais rien de bon.
Le calme se rompt. Les vibrations de mon téléphone sur la table du salon m'arrachent à mes rêveries. C'est étrange, le téléphone de mon mari retentit en même temps.
Un message, LE message, celui que je n'aurais jamais voulu recevoir, celui que je n'aurais jamais voulu lire.
Ca y est, tu es parti, c'est fini, mon sang se glace. C'est injuste, tu n'es encore qu'un enfant.
Le temps de conduire les enfants chez nonno et mamie et nous voilà aux portes de l'hôpital. Il fait froid et j'ai peur.
J'ai peur de la mort, j'ai peur de te voir, j'ai peur de pousser la porte, j'ai peur d'avoir peur.
Dans ta chambre, toute ta famille est au complet. Il y a une musique douce. Et toi, tu es là devant moi, tu dors paisiblement. Je m'approche de toi, je t'embrasse. Tout se bouscule dans ma tête, je ne sais plus si tu dors ou si tu es mort. Je vois tantôt ton visage, tantôt celui de mon fils, vos traits sont si similaires.
Je t'embrasse, c'est la première fois que j'embrasse un enfant dont il ne demeure plus que l'âme. A travers mes lèvres, tout me corps se cripse et se fige. Je veux garder de toi le souvenir du petit garçon que j'ai connu et non celui d'un corps froid. Je me force à te regarder et à te toucher, mon corps se réchauffe petit à petit, j'efface le mot "mort" de mon esprit et ne garde de toi que les rires et les bons moments. Cela m'a fait du bien de te voir et de te parler. Je ne peux pas t'accompagner dans l'au-delà mais je te confie à ma Principessa. D'ailleurs, je suis certaine qu'elle est déjà là, qu'elle te tend les bras. Je l'imagine me dire : "Dis à sa maman que je suis là et que je m'en occuperai comme si c'était Simon..."
Comme si la trisomie ne suffisait pas, il a fallu que la vie te donne une croix encore bien plus lourde à porter, celle de la maladie du moya moya. Avant toi, je n'en avais jamais entendu parler. Les risques et la maladies liées à la trisomie, je ne veux pas les connaître. Les ignorer pour ne pas avoir à les rencontrer...
Tu es un garçon extraordinaire, je suis en admiration devant tes progrès et ta rage de te relever après chaque tornade causée par la maladie.
Je me sens proche de ta maman. C'est elle qui la première nous a suivi dans notre rêve fou de vous apprendre à lire, à calculer, à écrire. Elle y a mis une telle énergie que les résultats ont été magiques.
Nous sommes venus te voir plusieurs fois à l'hôpital et nous avons gardé espoir jusqu'à la fin.
Ce dimanche de décembre, tu t'es transformé en ange, en étoile, gardant une place immense dans nos coeurs.
Lorsque j'annonce aux enfants que tu es parti, ils me répondent : "Parti où ?" "Il va revenir ?" "Il est parti en vacances?" "Au ciel ? Mais c'est où le ciel ?"
Il va falloir être forte et leur expliquer la mort avec des mots simples. Dès mes premiers mots, j'entends des portes qui claquent de colère, des larmes et des sanglots insoutenables.
Je leur demande de te faire un dessin. Les filles dessinent des coeurs et des arc-en-ciel. Quant à Simon, je ne m'attends pas à grand chose, le dessin n'est vraiment pas son point fort. Ce n'est pas grave, même un gribouillis fera l'affaire.
Après quinze minutes, Simon redescend et me tend une feuille. Sur cette feuille, il y a un bonhomme avec un visage, des vêtements. Il y a un coeur et un grand soleil et en haut, il est écrit "JUSTIN". C'est un vrai dessin, il a du sens, chaque trait est reconnaissable, j'en perds la respiration.
Mais tu sais dessiner???
Je retiens mes larmes, ma gorge se serre, j'ai besoin de parler de ce dessin.
Moi : "Mais il n'y a qu'un bonhomme...Il est où Justin?"
Simon : "Dans mon coeur".
Non seulement il sait dessiner mais en plus, je n'ai pas besoin de trouver les mots pour lui expliquer l'inexplicable car il a tout compris, comme s'il savait déjà et qu'il n'attendait plus que le moment fatidique où on lui annoncerait la mort de son ami.
J'ai gardé une photo du dessin. J'ai décidé de ne pas la publier dans ce blog car il ne m'appartient pas. C'est un cadeau de Simon pour son ami. Il n'était pas destiné à être montré.
Nous éclatons tous en sanglots et nous nous serrons fort dans les bras, nous avons besoin de cette chaleur familiale pour surmonter cette épreuve.
Pendant de longues semaines, de longs mois, Simon s'attache à un doudou, il a choisi le personnage de Woody. Il l'emmène partout. Je m'étonne, il n'en avait jamais ressenti le besoin avant ce jour...
J'essaye de lui parler, de comprendre mais je sens bien que je l'embête.
Moi : "Laisse Woody ici, tu le reprendras après l'école"
Simon : "Laisse tranquille je t'ai dit..."
Moi : "Euh..."
Simon : "Justin peur à l'hôpital"
Je comprends enfin que ce n'est pas Woody qu'il emmène avec lui mais bien son ami Justin. Il l'emmène avec lui pour le rassurer et lui dire de ne pas avoir peur, qu'ils sont ensemble et que tout ira bien.
Je ne l'ai plus jamais embêté avec Woody, je l'ai laissé gérer ses émotions et ses sentiments face à ce départ brutal. J'ai laissé faire le temps jusqu'au jour, sans trop savoir pourquoi, la poupée de chiffon a repris sa place bien sagement dans la chambre de Simon.
Avec l'absence et le temps qui passe, se pourrait-il que Simon oublie son ami? Je ne pense pas. A nous de cultiver sa présence, son courage, son goût pour la vie, son optimisme légendaire. Justin est toujours présent au travers des photos et des souvenirs merveilleux que nous avons de lui.
Bon voyage Justin!
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